Le Marbre et le sang

Regard sur la Collection IAC par l'artiste Katinka Bock

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Dans le cadre de sa mission de diffusion de l’art contemporain sur l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’IAC initie tous les deux ans un temps fort ex situ autour des œuvres de sa collection et du regard d’un artiste commissaire, invité à mettre les œuvres de la Collection IAC en dialogue avec des sites remarquables du patrimoine naturel et culturel de la région.
Cette année, après l’Ardèche en 2017, c’est dans l’Ain que l’IAC propose ce projet autour de sa collection, en partenariat avec la Ville de Bourg-en-Bresse et avec l’artiste Katinka Bock, choisie pour poser son regard d’artiste sur la Collection de l’IAC.
L’IAC a invité l’artiste allemande, d’octobre 2018 à janvier 2019, pour une exposition monographique d’ampleur : Radio / Tomorrow’s Sculpture, troisième volet du cycle d’expositions consacré à l’artiste par trois lieux d’exposition en Europe (le Mudam Luxembourg, le Kunst Museum Winterthur et l’IAC).

Le Marbre et le Sang se présente sous la forme d’un parcours d’œuvres contemporaines associant deux lieux d’exception, H2M, espace d’art contemporain et le monastère royal de Brou. Avec pour enjeu l’enrichissement d’imaginaires partagés, les œuvres de la Collection IAC entrent d’abord en dialogue avec H2M, espace d’art contemporain. Le parcours se cristallise ensuite dans le chœur de l’église de Brou, autour d’œuvres de Katinka Bock qui imprime ainsi sa signature artistique au projet. Il se poursuit enfin dans le musée où les œuvres contemporaines rencontrent les œuvres anciennes du Musée de Brou et les espaces monastiques.
H2M, ESPACE D’ART CONTEMPORAIN
DOVE ALLOUCHE, CARL ANDRE, MICHAEL ASHER, ALIGHIERO BOETTI, JASON DODGE, DAN GRAHAM, RODNEY GRAHAM, LUKE JAMES*, GUILLAUME LEBLON, ANGE LECCIA, RITA MCBRIDE, HANS SCHABUS
*Courtesy Luke James

MONASTERE ROYAL DE BROU
FRANCIS ALŸS, JEAN AMADO, ANONYMES, GIOVANNI ANSELMO, PIERRE APERS, DOMINIQUE AUERBACHER, CLAUDE BATHO, KATINKA BOCK**, ALIGHIERO BOETTI, DIRK BRAECKMAN, JEAN-GABRIEL COIGNET, DANIEL GUSTAV CRAMER, ERIK DIETMAN, PHILIPPE DROGUET*, JIMMIE DURHAM, MARINA FAUST, BARRY FLANAGAN, TONI GRAND, JAN GROOVER,CHRIS KILLIP, JEAN-MARIE KRAUTH*, HELEN LEVITT, MARIO MERZ, JOACHIM MOGARRA, LILIANA MORO, JEAN-LUC MOULÈNE, BRUCE NAUMAN*, JEAN-MARIE PERDRIX, JEAN-LOUIS SCHOELLKOPF, THOMAS SCHÜTTE, ETTORE SPALLETTI, ULLA VON BRANDENBURG
*Courtesy macLYON
**Courtesy Katinka Bock et Galerie Jocelyn Wolff, Paris


 

LE MARBRE ET LE SANG Le Marbre et le Sang, titre choisi ici par Katinka Bock, provient d’un chapitre du roman d’Italo Calvino, Palomar, écrit en 1983. Dans ce livre, ce dernier écrit : « À la suite d’une série de mésaventures [...], monsieur Palomar avait décidé que sa principale activité serait de regarder les choses du dehors. » Voir, observer, penser, c’est pour Katinka Bock la manière d’envisager l’expérience du musée et le rapport aux œuvres.
Ici, cette expérience des œuvres se construit sur une série de contrastes et de dualités. Par rapport aux lieux tout d’abord : le premier lieu de l’exposition – H2M, espace d’art contemporain – est vierge de toute collection et se présente comme un espace blanc, neutre, géométriquement défini, tandis que l’autre – le monastère royal de Brou – amène naturellement les œuvres choisies à dialoguer avec l’histoire du lieu, son architecture et ses collections permanentes.
Autour de ces deux lieux, se met donc en place la dialectique entre le marbre, matériau froid et dur de la pierre tombale, et le sang, liquide chaud de la vie qui renvoie à la chair et au corps, à une matière vibrante et animée. En jouant sur ces subtiles oppositions entre le concept et l’imaginaire, la verticalité et l’horizontalité, l’inerte et le sensible, la vie et la mort, la sélection d’œuvres proposées par Katinka Bock parmi les 1 900 œuvres de la Collection IAC dessine une forme de récit visuel. Cette sélection d’œuvres met aussi en lumière une possible symbiose entre l’animal et l’humain, la matière et la chair, la nature et la culture, comme pour constituer une forme de déambulation pour l’œil autant que la pensée.

LE MARBRE ET LE SANG, TEXTE DE KATINKA BOCK


Cher Marbre, cher Sang,

En cherchant non pas sur,
Mais dans le marbre,
J’ai vu.
Jeune vie,
Corps vieux,
Tout reste présent.
Globule blanc,
Globule rouge,
Rien ne bouge.
Nées pourtant la veille,
Ces couleurs commencent leurs journées,
Âmes et Lames sont affûtées.

Luke James

" Monsieur Palomar décide que sa principale activité serait de regarder les choses du dehors. Savez-vous comment observer une vague, une seule, en la distinguant bien de toutes les autres ? Ou comment prêter au sein nu d’une dame sur la plage ce qu’il faut d’hommage sans ce qui messiérait d’insistance ? Et puis que faire avec un reflet de soleil, si parfaitement perceptible et si fuyant dès qu’on l’approche ? Monsieur Palomar vit donc des aventures et des mésaventures du regard et de la réflexion. Si le reflet est un cousin de la réflexion, elle se définit donc par le changement de direction d’une onde provoquée par la présence d’un obstacle. Arrêtons-nous avec Monsieur Palomar devant un obstacle, la vitrine d’une boucherie, un soir d’automne. Les bouchers sont en train de vider les comptoirs, ranger les derniers morceaux de viande non vendues dans les chambres froides, de laver les carreaux de faïence blancs du sol et des murs au jet d’eau. Les néons annulent toutes les ombres.

C’est la tombée de la nuit, il frissonne et Monsieur Palomar découvre le reflet de son allure dans la porte vitrée. Avec une pincée de désespoir ce reflet lui rappelle quelqu’un. L’espace est vide et blanc. Monsieur Palomar se rappelle aussi une œuvre de Joëlle Turlinckx : un bâton blanc accoudé au mur d’un espace blanc, une galerie illuminée aux néons. Le bâton est peint avec une couleur phosphorescente. Quand la galerie ferme et les lumières s’éteignent c’est le bâton qui veille et qui s’illumine. Monsieur Palomar rentre chez lui. Le lendemain matin il revient, il fait la queue devant la boucherie pour acheter trois biftecks.
Il observe la nuque de la femme devant lui. Elle est belle. Il imagine son visage, sa voix. Sa pensée s’arrête sur cette nuque pour l’examiner en détail. Les pulsations dans ses artères presque imperceptibles adoucissent sa posture immobile. Elle semble songeuse.

À des sciences exactes, à la découpe de la viande ou aux remords. Monsieur Palomar, lui, songe aux nuques sculptées de Wilhelm Lehmbruck. Elle se retourne – le regard de Monsieur Palomar lui a chauffé la nuque. Elle a des yeux de reconnaissance. Des souvenirs appuyés au convexe, appuyés au concave, Monsieur Palomar écoute la conversation des deux femmes qui attendent dans la file d’attente derrière lui. Claude Batho raconte ses habitudes familiales.
Quand sa fille se glisse dans la baignoire, elle ferme les yeux et flotte comme un iceberg. La salle de bain et la boucherie, lieux de marbre et de corps, mais faux-amis sans doute. Monsieur Palomar contemple le paysage de la nature morte dans la vitrine. Rouge vif, rose claire, rouge blême, rouge sombre, blanc puis noir.

Aucune trace du jaune-citron, et pourtant, il est parfois le complice du Jeune poisson.

Monsieur Palomar se frotte les yeux pour chasser l’animal de la vitrine du boucher. Ici présents dans cette longue vitrine : bégaiements et doutes, anatomie du peuple, cartographies de coutumes, corps ficelés et crochets vides, cœurs arrachés et cœurs retrouvés, tranches et tas, tendresse, possession, partage et dévoration.
Ici absents : corne et sabot. Certes nous avons perdu un pied, mais nous avons retrouvé des chaussettes dépareillées. Histoire commune à tout un chacun, accepter de faire la collection d’objets perdus. Seuls nous sommes mais toujours à la recherche de l’autre, du double, de l’ombre. Comme quand Pétrarque se décide à faire l’ascension du Mont Ventoux avec un proche de confiance, son frère. Une ascension commence par le sol, ici nous foulons les tomettes rouges, deux cartes font la paire et se couvrent mutuellement.

Jeanne et Jules brandissent leurs haches à la lame trapézoïdale pour l’équilibre asymétrique de leur art. Monsieur Palomar reçoit une goutte sur son front. La fontaine gratuite provient d’une fuite du faux plafond. L’horizon s’introduit dans l’espace, nous traversons National Chain. Belle Fortune, fort et unis sont Marguerite (et) Marguerite, ou Alighiero e Boetti en conversation. Pour suivre le coucher du soleil ou la fin de journée, c’est le moment du face à face entre SO-HO, BE-HO et AB-BH dans la salle libertine.

Minuit sonne, il est temps de livrer les demi-bêtes : Monsieur Palomar observe la coupe de la longe avec retenue et crainte, désir et incertitude. Un sentiment n’exclut pas l’autre."

Katinka Bock
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imprimé le 01 décembre 2024 [21:17] depuis l'adresse IP : 18.97.9.169
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