Zoom sur Gerhard Richter
Gerhard Richter
Rot-Blau-Gelb, n°335/4
1973
[Rouge-bleu-jaune]
Huile sur toile
200 x 200 cm
La toile Rot-Blau-Gelb, n°335/4 de 1973 appartient à la série des Vermalung (1971-1974) qui sont de larges compositions abstraites à la trame chaotique. Après avoir utilisé des teintes grises et marron, Richter introduit ici les trois couleurs primaires : le rouge, le bleu et le jaune. Prenant à bras le corps le registre de l’abstraction gestuelle, l’artiste travaille avec vigueur la matière picturale par de larges coups de brosses, tâchant de rendre visible son processus d’élaboration. De cet entrelacs naît une peinture aux ondulations infinies comme si la matière continuait à se mouvoir sous nos yeux. Les tableaux de la série des Vermalung proviennent de détails agrandis d’un travail antérieur sur le paysage mêlant, selon sa technique, photo-réaliste, abstraction et figuration. Richter s’emploie donc à brouiller jusqu’à faire disparaître cette image originelle. Sa dissolution totale s’effectue alors dans un tourbillon de couleur.
À la manière d’un rebond, le peintre Bernard Frize trouve plus tard dans cette utilisation matiériste de la brosse des solutions plastiques décisives à sa propre pratique.
Gerhard Richter
Grau n°365/2
1974
[Gris]
Huile sur toile
250 x 200cm
Grau n°365/2 (1974) fait partie d’une série de grandes toiles monochromes grises peintes par Gerhard Richter au cours des années 1970. Choisie en opposition à l'International Klein Blue (IKB) d’Yves Klein, la couleur grise chez Richter ne revêt pas le caractère absolu, ni ne symbolise la sensibilité picturale immatérielle du bleu outremer de Klein. En écho à une période de chagrin et d’incertitude de l’artiste, le gris ne possède aucune signification ou valeur symbolique particulière pour lui, et évoque davantage l’absence de message et de forme, un néant. Malgré l’ « évidente connotation privative » qu’a soulignée le critique Jean-Pierre Criqui1, ces tableaux transmettent néanmoins le rapport qu’entretient Richter avec la réalité à cette période et engagent pleinement l’acuité du regard du spectateur. En effet, leurs surfaces soigneusement travaillées font apparaître de subtiles nuances de gris rendant dissemblable chacune des toiles. Les modulations de lumière auxquelles les peintures peuvent être exposées produisent en retour un ensemble de variations optiques que les Panneaux de verre des années 2000 prolongent avec une intensité décuplée.
1 Jean-Pierre Criqui, « Gris, reflets », Richter en France. Arles : Actes Sud, 2009, p. 28.
Gerhard Richter
Kerze n°511/1
1982
[Bougie]
Huile sur toile
95 x 90 cm
Kerze n°511/1, datée de 1982, est une œuvre emblématique de Gerhard Richter appartenant à la série des « photos-peintures ». Amorcée au début des années 1960, ces reproductions hyper-réalistes de photographies en peintures sont alors considérées par l’artiste comme « la chose la plus bête et la plus antiartistique que l’on puisse faire1 ». Ce n’est donc pas l’enregistrement du réel qui intéresse ici Richter mais bien les questions de représentation et de distanciation que soulève cette opération de transfert d’un médium à l’autre. Au-delà de toutes considérations théoriques et techniques, la chandelle se consumant que peint Richter dans cette huile sur toile évoque un thème cher à l’histoire de la peinture : celui de la vanité. À l’instar du crâne qu’il peint une année plus tard (Schädel, 1983), l’artiste figure la vision du temps qui passe et des rapports de l’homme avec la mort et sa propre finitude. Ce memento mori fascine et trouble autant par son sujet que l’absolue précision technique avec laquelle il est exécuté.
1 Hans Ulrich Obrist (éd.), Gerhard Richter, Textes. Dijon : Les presses du réel, 1995, p. 19.