Camille Llobet

Fond d'air

du  au 
Du 10 mars au 28 mai 2023, l’IAC invite Camille Llobet à investir la totalité de ses espaces avec l’exposition Fond d’air. Rassemblant œuvres existantes et productions récentes de Camille Llobet, l’exposition Fond d’air propose une immersion au cœur de l’humain.


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Rassemblant œuvres existantes et productions récentes de Camille Llobet, l’exposition Fond d’air propose une plongée au coeur de l’humain. Depuis une dizaine d’années, l’artiste s’intéresse à la prosodie de la langue, soit la tonalité, l’accent ou toute autre variation que subit le langage lorsqu’il entre dans une forme d’oralité. C’est par le son, le bruit, en tant que vecteur à la fois d’information et d’expression, qu’elle rencontre et restitue son sujet. C’est également du bruit que provient le titre de l’exposition. Dans le secteur du cinéma, le « fond d’air » désigne le silence habité, le bruit de fond propre à chaque lieu de tournage.
Ici, on entend un torrent au loin, là, ce sont les pierres qui s’écroulent, la montagne qui tremble… autant d’éléments indiciels qui, pourtant donnent une épaisseur au silence.

Qu’il s’agisse d’analyser les contours de la langue ou de dessiner un paysage par le son, il est souvent question dans le travail de Camille Llobet, du bruit comme empreinte du corps et du mouvement. C’est à travers le corps, en tant qu’il perçoit et exprime, qu’elle esquisse le portrait sensible de ses sujets et de ses performeurs. C’est également par le corps que le visiteur appréhende l’espace de l’exposition. Pensées comme des volumes, les œuvres vidéo relèvent de l’expérience. Les projections plongent dans les mouvements du corps pour rendre possible l’attention aux gestes infimes ou spontanés.

Retravaillée à la manière d’un studio d’enregistrement, l’exposition offre quant à elle une possibilité d’écoute inédite : le visiteur est conduit à traverser différentes textures sonores, chacune choisie pour permettre à l’œuvre de s’incarner. L’artiste imagine ainsi une expérience à échelle 1 et transpose à l’espace d’exposition les contraintes jusqu’ici réservées à ses lieux de tournages.

Dévoilé à l’occasion de Fond d’air, le projet Pacheû signe ce changement d’échelle et de paradigme. Jusqu’ici animée par le besoin d’ausculter les perceptions et les interprétations humaines dans un cadre décontextualisé, Camille Llobet situe pour la première fois son étude en haute montagne pour une immersion dans la matière, les lignes et les glissements d’un milieu aussi grandiose que menacé.


Fond d'air

« Paradoxalement, c’est en le faisant devenir machine, en le faisant échapper à l’intellect, que l’on réincarne un corps et un langage, qu’on en révèle tous les phénomènes discrets¹ ».

Il serait aisé d’oublier la complexité de ce qui se joue à l’intérieur de l’humain : quand le corps éprouve le réel, le cerveau l’interprète pour laisser aux gestes et aux langues le soin de le traduire. Exercice spontané et inconscient, cet espace de traduction devient pour Camille Llobet un vaste sujet d’expérimentation. Elle invite ainsi des performeurs à appréhender et à décrire une scène de manière simultanée. À la réalité de la situation, invisible pour le visiteur, se substitue sa description contrainte par la vitesse de défilement et la richesse des gestes. En se pliant à l’exercice proposé par l’artiste, chacun des performeurs entre dans un état de concentration propre à l’interprétation immédiate. Il s’agit de ne rien manquer, de sélectionner, d’analyser et de fragmenter l’information pour en restituer les éléments principaux. De manière quasi scientifique, Camille Llobet met en place ce qu’elle appelle des « expériences filmées ». Par la répétition et l’uniformité de l’exercice, elle dépouille le langage de sa dimension sémantique pour en révéler les éléments involontaires.

Le cinéaste Robert Bresson disait : « Les 9/10e de nos mouvements obéissent à l’habitude et l’automatisme. Il est anti-nature de les subordonner à la volonté de la pensée ² ». La recherche de l’automatisme et de la performance, autant physique que mentale, constitue en elle-même un objet de fascination pour l’artiste. Au fil de l’exposition, le visiteur rencontre des sportifs, des danseurs ou des guides de montagne dont le corps, poussé à un extrême de connaissance et de maîtrise, semble avoir acquis des automatismes sensationnels. Or il ne s’agit pas de révéler le perfectionnement du corps mais bien de tenter de déceler ce qui se joue à l’intérieur de l’individu lorsque l’automatisme, décontextualisé, doit se redécouvrir. Ainsi une chanteuse lyrique apprend-elle à babiller : au-delà d’une forme d’expertise, c’est bien l’apprentissage, du corps et de l’esprit, que l’artiste nous donne à voir. Du corps puisque le geste réflexe semble se loger dans une mémoire musculaire. De l’esprit car il ne fait aucun doute que l’état de concentration que réclame et expose Camille Llobet se rapproche d’un état modifié de conscience, la « zone » dont certains sportifs nous parlent, qui dilate le temps, le rapport à soi et au réel. L’itération, en ancrant un geste, un mot, une expression dans le corps, libère un espace de pensée et d’expression qui révèle le soi.

C’est là que réside la force du travail de l’artiste : la rencontre, profonde et intime, avec ses sujets. Par le biais des expériences filmées, la frontière entre le filmant et le filmé se brouille : la sensibilité des performeurs participe à l’écriture de synopsis semi-improvisés. Loin de porter sur eux un regard uniformisant, Camille Llobet dévoile la beauté du singulier par un ensemble d’éléments indiciels et de gestes idiosyncrasiques1. Il n’est pas question de raconter l’autre dans une forme de vérité impérieuse mais plutôt d’esquisser les portraits sensibles d’une humanité multiple.

Si l’exposition Fond d’air est une plongée dans ce qui nous constitue, un aller-retour constant entre aptitude et potentiel, elle marque également un changement de paradigme : le projet Pacheû signe le commencement d’une recherche dans un « environnement naturel », celui de la haute montagne. L’artiste délaisse ainsi la neutralité de l’espace filmé pour ausculter un milieu aussi spectaculaire que précaire. Loin des sommets et des lignes verticales de la montagne qui pourraient à s’y méprendre nous laisser penser qu’elle est inébranlable, l’artiste adopte une perspective à fleur de matière, de ses lignes et de ses glissements.
On y retrouve les procédés de l’artiste, la description, l’interprétation, l’observation des corps et de leurs trajectoires, cependant un nouvel élément se déploie. Le regard n’est plus porté sur l’être humain seul face à son contexte mais sur une forme d’interrelation et de coexistence. La montagne n’est plus seulement paysage ou un milieu mais sujet : en se délitant ou en grondant, elle exprime l’impact de sa relation à l’humain. Les corps eux doivent ainsi trouver de nouvelles manières de la découvrir, adapter leurs pratiques, modifier leurs automatismes. La conquête, tout comme le conformisme, sont laissés à une époque révolue. Il est grand temps de faire l’éloge de l’écoute et de l’apprentissage mutuel.

Camille Llobet et l'IAC

La relation entretenue entre Camille Llobet et l’IAC depuis plusieurs années est significative de l’engagement de l’IAC à l’égard de la jeune création. D’abord conviée en 2010 dans le cadre du programme Galeries Nomades / Jeune création en Auvergne-Rhône-Alpes, Camille Llobet revient in situ en 2011 à l’occasion de Rendez-vous 11 (devenu depuis Jeune création internationale) avant d’intégrer la Collection IAC en 2018. Simultanément, elle rejoint le Laboratoire espace cerveau, s’y intéressant notamment pour les recherches menées alors en neurosciences.

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imprimé le 18 novembre 2024 [04:18] depuis l'adresse IP : 3.147.80.249
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