Il appartient en effet à cette génération d’artistes pertinents déjà présents sur la scène internationale et l’exposition prouve en outre que la création est encore possible, même si le système de l’art, en bon reflet de la société qui le porte, tend à privilégier aujourd’hui le spectacle et les jeux de la médiatisation aux dépens de l’exigence et de la justesse.
D’autre part, on peut visiblement être un artiste – né en région, à Villeurbanne ! – et être reconnu par les professionnels internationaux sans affiliation à quelque réseau que ce soit. Il suffit de ne pas rester en attente, mais au contraire de bouger et d’assumer l’ambition de son propre travail. Et pour ce qui reste de débat Paris/Province, c’est aux régions françaises d’affirmer leur potentiel créatif face aux autres régions d’Europe sans plus se préoccuper d’une quelconque onction locale ou nationale.
Pour l’Institut, consacrer toutes les salles de l’Institut à Melik Ohanian, c’est donc affirmer une continuité de la création, française ou internationale, qui passe par Daniel Buren et Bernard Bazile, par Jeff Wall et Jordi Colomer. C’est redire que la qualité d’une démarche est le seul élément déterminant d’une programmation responsable.
C’est donc bien à l’Institut qu’il revenait d’organiser la première grande exposition personnelle de cet artiste et d’offrir au public la possibilité de découvrir nombre d’œuvres produites souvent à l’étranger. Slowmotion, produite lors de sa résidence à Kitakyushu, au Japon, en 2004, The Gear, pour sa première exposition à la galerie Yvon Lambert de New York, en 2004, The White Flag, produite au Texas. De retrouver aussi des œuvres plus familières : White Wall Travelling, 1997, acquise par le Frac Rhône-Alpes en 2002 et déjà présentée à l’Institut ; The Hand, 2002, Switch off, 2002 et Hit, 1998, présentées pour sa première exposition à la galerie Chantal Crousel à Paris en 2002 ; You Are My Destiny, exposée au Centre pour l’image contemporaine - Saint-Gervais de Genève, en 2004 ; Welcome to Hanksville, présentée pour la première fois à Paris au studio Yvon Lambert en 2003 et Sign Word Book projet initié à la BF15, à Lyon, en 2003.
Biennales de Sydney, de Berlin, de Sao Paolo, de Moscou, résidence au Texas, au Japon, Melik Ohanian voyage, explore d’autres cultures, d’autres territoires. En 2002, lors de l’ouverture du Palais de Tokyo, il réalisait Island of an Island, qui figurait la naissance d’un nouveau territoire. Basé sur le temps, l'intervalle, ou encore la continuité et la discontinuité, son travail met en question les notions de territoire et d’identité, et propose d’autres hypothèses tant géographiques que politiques.
Pour cette « quasi-rétrospective », il propose surtout de nouvelles œuvres produites pour l’occasion par l’Institut d’art contemporain avec l’aide de ses galeries : Hidden, Invisible Film, Gradient, Datcha Project, une nouvelle version de Peripherical Communities, tournée en janvier 2006, à Dakar, et une œuvre au long cours, Mars Clock, qui se réalisera tout au long de l’exposition.
Colored Circle Mirror et Concrete Tears, larmes de béton, viennent ponctuer l’espace, et Melik Ohanian présente dans l’espace central, ce qu’il a appelé des « indices », comme un souvenir d’œuvres anciennes importantes, utiles à la compréhension de sa trajectoire. Ainsi de Island of an Island, 1998-2001, The Patrol, 2004, Demix, 1996. Enfin, une série de Selected Recordings, grandes photographies sans date ni repère géographique, déjà présentées à l’Institut, ouvre des fenêtres supplémentaires sur les mondes proposés par l’artiste.
Melik Ohanian offre au public un travail exigeant, ouvert sur les grandes questions politiques du moment mais où la subjectivité et l’émotion individuelle tiennent leur part. Le nomadisme, l’appétit du monde – et son questionnement parfois inquiet –, la notation des choses de la vie, visibles et invisibles, font de cette œuvre une des plus intrigantes d’aujourd’hui.