En marge

La Collection en prêt en France

du  au 
Prêt de l'œuvre de Bertille Bak, Ô quatrième, 2012
Collection IAC, Villeurbanne/Rhône-Alpes

Avec les œuvres de : Bertille Bak, Le Gentil Garçon, Benoît Luisière, Pierre Monjaret, Benjamin Paré, Laurent Perbos, Marine Semeria, Xavier Veilhan, Pauline Zenk & Lilie Pinot

Conçue comme un laboratoire de curiosités contemporaines, l’exposition se construit autour d’une idée centrale : repenser la belle notion de communauté.
Qu’est-ce qui nous fait être ensemble ?
La tentation est grande de recréer ici une microsociété éphémère où se cultiverait l’attention des uns envers les autres et dans laquelle interagiraient activité humaine, création et contemplation. Il s’agit alors d’invoquer ce qui est le propre de l’humain : la délectation, l’euphorie, l’amusement, la réjouissance, le temps libre et la spontanéité, autant de caractères et de sentiments mis en marge par le pragmatisme de nos sociétés en soif de performances.
Ainsi, l’exposition se pense comme un terrain de jeu où s’épanouissent librement de fraiches émotions. Elles tissent une histoire entre les oeuvres, le public et le lieu. La partie se joue alors dans une alliance souvent drôle, peut-être déroutante, parfois incongrue.
L’exercice se pare aussi d’une autre question, celle de notre rapport à la création contemporaine. Apparemment trop éloigné de la réalité du monde pour certains, l’art d’aujourd’hui plonge profondément ses racines dans la vie, en se ressourçant en permanence dans les cultures populaires et les conventions sociales qui régissent nos communautés de vie. Alors, oui, EN MARGE se veut une véritable profession de foi : faire de l’art contemporain un manifeste populaire. Le plaisir procuré ne peut se garder feutré. Autour d’un enjeu esthétique, les pratiques, sans cesse réinventées, prennent ici des voies simultanées.
Il sera alors question de fédérer les genres et les usages populaires par le geste artistique en questionnant l’identité même de ce que nous désignons comme « populaire ».
Loin de nous l’idée d’opposer les pratiques entre elles mais, bien au contraire, de s’amuser de l’accès aux formes sans pour autant se priver des références liées à l’histoire des arts et des sociétés.
L’œuvre du Gentil Garçon vient bousculer les strates de la perception entre pratique populaire et pratique dite « savante ». Il s’attaque à l’image même de l’œuvre célèbre d’Edvard Munch. Souvent reproduite et parodiée, Le Cri exprime le paradoxe de nos existences : entre une expression de l’angoisse humaine et sa récupération par les arcanes de la communication d’aujourd’hui.
Cette relecture de l’oeuvre et de sa (re)production fait écho au travail de Laurent Perbos qui n’hésite pas à revisiter la notion même de sculpture. Invité à interagir avec l’oeuvre, le visiteur se livre à une partie de ping-pong impossible, renversant le sens de nos pratiques usuelles de la détente et du temps libre. Les sons de la récréation défient ici le silence, si longtemps omniprésent dans cette ancienne chapelle, lieu de recueillement. L’inversion des habitudes comportementales se retrouve dans les productions de Lilie Pinot & Pauline Zenk. Présentées pour la première fois à MEMENTO, leurs correspondances bousculent notre perception usuelle de la peinture et de la photographie. Entre histoires collectives et personnelles, les artistes exhument les paradoxes de nos sociétés traditionnelles occidentales.
Instituer un nouvel ordre établi, tel serait le fil conducteur de cette exposition. L’expérimentation prend force, cette année, avec deux résidences d’artistes : privilégier le temps de la rencontre, de l’exploration.
Ainsi, Benjamin Paré n’hésite pas à inverser sa pratique de la performance en créant spécialement pour MEMENTO, une oeuvre figée qui sera, tout au long de l’exposition, modifiée par ses soins ou par les médiateurs. En devenant « un touriste professionnel à Auch », l’artiste a inspecté les traces de la vacance dans la ville. Ici, l’acte de création se délègue, change de statut, pour revisiter le geste même de l’artiste.
Cette conception « duettiste » de la création se retrouve également dans le travail photographique de Benoît Luisière. L’artiste est allé à la rencontre des Auscitains dans le but, à l’instar d’émissions de la téléréalité, de prendre leur place le temps d’un cliché. L’image de soi et d’autrui s’interfèrent jusqu’à faire de l’inconnu un créateur. En allant vers l’autre pour oeuvrer ensemble, les artistes dérèglent la place de chacun : un pas de côté s’opère.
Les œuvres de Marine Semeria viennent gratter le rapport paradoxal que nous entretenons avec l’appât du gain. Ici, la pratique compulsive générée par les tickets de la Française des jeux révèle une forme esthétique inédite. Il en ressort une radiographie sociale absurde, grinçante parfois déroutante qui nous amène à prendre le temps de l’introspection.

Bertille Bak, développe quant à elle l’instant minutieux de l’observation pour étudier notre réel. La vidéo Ô quatrième soulève les questionnements existentiels d’une communauté de religieuses. Le repli et la retraite confèrent au temps qui passe une tendresse ironique du quotidien.
Ce fameux réel que nous souhaitons travestir pour mieux l’apprivoiser, prend des tournures sarcastiques. L’époque est à l’inquiétude, l’amusement ne serait-il pas une belle arme de riposte ?
Le jeu serait bel et bien le terrain de la lutte.
Avec Pierre Monjaret, les frontières ténues du vrai et du faux prédominent. Faisant de sa vie et de son art une véritable fiction, il opère un décalage dans nos rapports aux institutions qui fondent notre société.
L’ironie du citoyen et de sa place dans la nation dialogue avec La Garde républicaine de Xavier Veilhan, corps d’armée de prestige qui concourt au rayonnement de l’image de la France dans le monde. Le symbole du pouvoir surdimensionné s’impose au spectateur. Cette sculpture, qui n’est pas sans rappeler les soldats de plomb des jeux d’enfants, s’érige, immobile, dans une représentation à la fois autoritaire et dérisoire du pouvoir.

Stuart Hall* défend l’idée que la culture populaire est l’un des lieux où la lutte pour et contre la culture du puissant est engagée. C’est l’arène du consentement et de la résistance. Dans ce même rapport de force, l’exposition invite à une relecture des signes et des usages culturels qui fondent une histoire commune. Elle en révèle les contradictions, les faiblesses, les absurdités et obsessions de nos pratiques relationnelles. Alors, pour un temps libéré, soyons en MARGE !
Karine Mathieu, Commissaire de l’exposition
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imprimé le 27 décembre 2024 [09:04] depuis l'adresse IP : 3.135.195.180
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